samedi 21 mars 2009

203. Le refuznik

Ceci est un post offtop.

Préambule
Printemps Noir 2001 : Assassinat de
Massi Guermah et massacre des innocents en Kabylie.
Printemps sombre 2009 :
3ième mandat, marathon présidentiel en Algérie, étape en Kabylie.

Jamais 2 sans 3
Pour la 3ième fois un président aux commandes du pays va rendre visite à un village kabyle en haute-montagne. Il voudrait sans doute savoir pourquoi «ulac lvut ulac» et comprendre cet amour des kabyles pour le vote blanc. A cause de la neige peut-être ? Ces montagnards refusent même la main tordue, pardon!, la main tendue de son excellence le tuteur de la nation. Ils refusent d’aller le visiter et de lui prêter allégeance. Peut-être est-ce la montagne qui en fait ainsi ? Alors si la montagne ne va pas à Mahomet, Mahomet va à la montagne.

La doyenne
La vieille centenaire illétrée Nna doyenne d’un village perdu demande aux instruits qui vient cette fois leur rendre visite à eux montagnards de Kabylie, si c’est Boumediène ou même Di-Gul (De Gaulle). Le refuznik lui expliqua à haute voix, sourde qu’elle était, que le satrape est mort il y a longtemps et que Di-Gul est mort aussi et que la France est partie de l’Algérie il y a longtemps. Le refuznik ajouta « ce n’est pas 2-Gul mais cette fois c’est Tri-Goul ». La doyenne a mis du temps pour comprendre tous ces bouleversements de l’histoire car son village à elle a résisté au temps et à l’histoire, là tout est resté comme avant, précarité, frugalité et misère, et comme toujours des jeunes qui meurent, elle en a vu plusieurs la doyenne Nna.

La cinquième colonne
Le refuznik poursuivit son chemin et s’arrêta au café du carrefour. Il ne manqua pas de remarquer une grande effervescence et même de l’excitation dans l’assistance. Il commanda son café et entendit la conversation suivante entre A et B à la table voisine:
- iHi theghreDH ldjarida*, a Si Meziane ?
(Alors tu as lu le journal, vénérable Méziane ?)
- Labuda min dhalika*, a Si Saïd !
(absolument ! obligatoirement ! vénérable Saïd)
- iHi anruh a n’vuti le 9 avril ?
(alors on ira voter le 9 avril?)
- labuda min dhalika*, a Si Saïd !
(absolument ! obligatoirement ! vénérable Saïd)
* mot, phrase en arabe.
Soudain l’un d’eux se retourna vers le refuznik en l’interpellant familièrement « iHi kech, theghreDH ldjarida... » (alors toi, tu as lu le journal officiel). Le refuznik esquissa une grimace mais l’autre, insolent qu’il était, continua à débiter «qelHu welaHu...». Le refuznik abondonna son café et se dit qu’il serait préférable d’aller prendre un bol d’air frais. Et d’ailleurs il en pouvait plus de l’odeur de la peinture fraiche et de l’insupportable haleine des abou parleurs de la Ripouxblique.

Le chant du refuznik
Au carrefour suivant le refuznik essuya le même traitement, cette fois par des serpents tous préoccupés par leur futur et de quoi vont se nourrir leurs enfants si jamais ils ne participaient pas à la caravane du Cyclope. Tout le long de son chemin le refuznik se fit abordé et débordé par des clowns, des musiciens, des troubadours et des fakirs, par des pragmatiques et même des flegmatiques, par des sosies en palladium, par des militants de l’affreux parti «affront national» et par des esclaves, par des apprentis et des repentis et même par des notables des ath-lkhubatha (ethnie des traîtres) qui désormais avaient pignon sur rue. Au commencement ils le suppliaient et essayaient même de le soudoyer, ensuite ils passèrent aux menaces avec un seul leitmotiv qu’ils chantaient en choeur «maudit rebelle! rentre dans le rang et rejoins la caravane». Le refuznik n’en pouvait plus: «marre de ce tintamarre!» Il décida de choisir l’ermite, l’ermite au maquis kabyle loin des hypocrites. Il préfèra supporter les noms d’oiseaux et vivre avec ceux-ci, il préfèra cohabiter avec des sangliers sauvages dans la forêt que de supporter les cochoneries des porcs domestiqués, les us de cette «ferme de porcs» qui le firent penser à l'excellente oeuvre de George Orwell sur les masses populaires enthousiastes et assujetties. Il préfèra devenir «celui qui marche debout» plutôt que de faire partie de ceux qui courbent l’échine devant les esclaves et les serviteurs du Cyclope et de ceux qui marchent à qattre pattes et pire encore de ceux qui marchent sur le ventre comme des serpents. Chemin faisant il fredonna cette chanson sur l’effervescence des zélés, l'hospitalité des hypocrites et leur adhésion à la caravane du Cyclope:
Le jour oû la nouvelle parvint
Le village perdit sommeil
Désormais on attend des invités de marque
Les dignitaires de la cour du Cyclope

On entend déjà dans la plaine
le tintamarre des troubadours
L’escorte du Cyclope avance
Toute vêtue de «gendura» et coiffée de « 33 tours»
...
Pauvre de moi! Il est peut-ête temps que je change !
Moi aussi je serai invité à la table du Cyclope
Tous mes péchés me seront pardonnés, c’est une solution!
Et le général Cyclope m’offrira l’absolution !

Le refuznik ne put finir sa chanson secoué qu’il était par un vomissement! Il gerba, le hasard le voulut ainsi, sur la djarida (en arabe journal officiel) qui se trouva sur son chemin! Cette même djarida réputée pour son "paradoxe de gravité" que même Newton n'aurait pas déchiffré, celui de pouvoir supporter des tonnes de ragots plombés et de ne pas tenir 2 kg de sardines!

La 203 ? Jamais!
Le refuznik juste avant d’atteindre son ermite rencontra le marathonien, un petit bonhomme avec son béret, connu de tous non pas par son prénom mais surtout pour ses performances de marathonien. Lorsqu’on lui demande sa destination, il répond en souriant « Dzayer! » (Alger) L’on raconte que ce little big man aurait dépassé Forrest Gump dans ce genre d’exercice qu’est la marche sans arrêts. L’on raconte que le marathonien refuse catégoriquement de monter dans une voiture même pour les longues distances ! L’on raconte qu’il y a longtemps un de ces quatres un chauffeur d’une 203 (Peugeot 203) pris de pitié de voir son cousin le marathonien monter la crête sous un soleil de plomb s’arrêta et le supplia de monter dans la voiture, la réponse du marathonien est restée légendaire «non, merci! je suis pressé!»
Le refuznik salua le marathonien et se dit qu’au moins les efforts de ce stayer-DZayer ne nuisent à personne, et que pour ce marathonien le principe est autre que pour les autres «la 203, jamais!», n’en déplaise à Peugeot ou au chauffeur de la 203 fut-il son cousin!
Sur cette note positive le refuznik rejoint son maquis, armé de block-note et de stylo. Il ne pouvait oublier son sang et son devoir, sa patrie et ses aieux, la mort des innocents et le sacrifice des braves, les larmes des veuves et le chagrin des mères. Au moins dans ce petit coin, loin du tintamarre de l’usurpateur, il était en paix car même les hurlements des chacals ne le dérangeaient pas; Il pouvait respirer à pleins poumons sa patrie, sa liberté, sa Kabylie.

Nota Bene
- La chanson du refuznik, motif: la chanson de Dda Lwennas « le retour des pélerins» (l'hedjadj). Voici une partie du texte que j’ai en mémoire :
tha-darth mi th’sla lekhvaR
ur th’gin ara
ath-nan wsen’d ZiyaR
lehqen’d si Mekka
n’sla i l’vaRudh sa zaghaR
thi-qwishth dh l’ghiDHa
‘ersen’d wk y-qenedyar
shemlen’d y-quRa


limer h’Segh ula dh nek-ini
gh l’weqth adh vedlegh
akham yg zdegh Rebbi
‘evghegh ath ZRegh

ayen uk y thekhdhem themZi
dhina ath’id m’hugh

- DZ sigle de l'Algérie. DZeryel (Cyclope) de TSeryel (cyclope, ogresse).
- stayer (en anglais) = coureur de fond
- Le marathonien est une personne réelle, un vrai Forrest Gump kabyle.

Post-Scriptum
Le refuznik en question a de loin dépassé le
Refuznik, c’est lui qui refuse et non pas à lui que l’on refuse. Notre refuznik a combattu à sa manière pour la liberté en kabyle qu’il est. Notre refuznik est un intellectuel qui a réellement pris le maquis avec un stylo et un block-notes pour écrire des lettres au satrape (Boumédiene) ce qui lui avalu d’être poursuivi et arrêté par les serviteurs du dictateur. Notre refuznik est connu non pas seulement aux Ath-Dwala mais à Tizi-Ouzou aussi, tout le monde l’appellait «numéro» pour son caractère grand-gueule toujours prêt à en débattre et à polémiquer. Notre refuznik est mon cousin feu Dda Mokrane que son âme repose en paix. Ce post est dédié à la mémoire de cet infatigable et souvent insupportable (comme moi d’ailleurs!) défenseur de la liberté, valeur intrinsèque de son peuple. En Kabylie il existe une tradition qui veut qu’à la naissance d’un garçon celui de la famille, un frère ou le plus souvent un cousin, qui lui pose un doigt sur les lèvres ou sur la bouche lui cède «automatiquement» son caractère et ses vertus. Dans mon cas pour ce «baptême» c’est justement Dda Mokrane mon «parrain», et franchement je comprends pouquoi je suis si insupportable parfois! Dda Mokrane c’est aussi ses frères et ses cousins tombés au champ d’honneur durant la guerre de libération. J’ai grandi dans un berceau offert par ma tante paternelle, la soeur de Dda Mokrane; celle-là même qui n’a pas oublié sa douleur de jeune fille forcée d’aller chercher le cadavre de son frère abbatu et jeté par les paras français dans une rigole, cette vénérable tante «radieuse en pleurs» qui à chaque fois qu’elle me rencontrait ne pouvait retenir ses larmes de joie de me voir grandir et ses larmes de douleur et de deuil car sans doute je lui rappelle son frère tombé au maquis. C’est aussi ça les valeurs de la famille, celle de Dda Mokrane que son âme repose en paix, celles de la Kabylie. C’est la mémoire des braves qui ont sacrifié leur vie pour la dignité de leur peuple qui fait vivre la flamme.
Il y a des moments cruciaux dans la vie d’un homme. L’assassinat de Dda Lwennas Matoub en 1998 par les forces du Mal Absolu m’a très fortement touché et sensibilisé. L’assassinat des 126 innocents kabyles en 2001 par les forces du Cyclope à commencer par l’exécution sauvage de Massinissa Guermah par deux gendarmes guétoules en plein jour à Ath-Dwala m’a profondément choqué. J’ai appris en appellant mon frangin que Massinissa serait le fils de notre infirmière au collège des Ath-Dwala oû j’ai passé 4 ans, je ne me rappelle plus de cette vénérable femme mais je lui exprime ma totale compassion comme au père de Massinissa d’ailleurs. Ce sont là deux événements clés qui m’ont longtemps empêché de trouver le sommeil dans mon lointain exil. C’est aussi la raison qui m’a rappellé au devoir et fait revenir à mes valeurs: celles da la liberté, celles du combat pour la Liberté et la Vérité quitte à devenir un refuznik.

Un dernier mot à l’adresse des usurpateurs. Nous sommes en période d’équinoxe du printemps. Un nouvel équilibre, un nouvel ordre. Bientôt on finira avec vos mensonges séculaires. Les damnés ne connaîtront jamais la paix. Les damnés ne laissent pas de testaments. WSYR est de retour, préparez vos épitaphes.