samedi 16 janvier 2010

Germania

Voisins et cousins germains, tel est le thème de ce billet.

Cette idée est née l’autre soir alors que j’étais en train de regarder un match de foot de la CAN entre la Tunisie et un pays africain. A observer les tunisiens et leurs noms je me suis dit que parmi eux il y a au moins un, le capitaine, qui a une tête et un nom faciles à prendre pour kabyles, ce joueur s’appelle Hagui, nom que l’on retrouve en Kabylie sous la forme de heGi ou heGan (en fr. Hegui, Hegane) mais il est le plus souvent arabisé avec le «dj» à la place de «ga» donc Hadj, Hadji à la place de Hagui. Le nom d’un autre tunisien (Chermiti) m’a interpellé car il est incontestablement de fond mazigh et il a déclenché l’idée qui donnera notre formule du jour. Notre patrimoine identitaire commun est un indéniable. Alors les tunisiens sont nos voisins ou nos cousins germains ?

COUSINS
De nos jours il ne reste plus de mazighophones en Tunisie du Nord, il y a des «berbères» résiduels à Djerba et dans le Sud, l’arabisation et l’orientalisation sont passées par là. Et pourtant le fond identitaire de ce pays, à commencer par son nom, est profondément mazigh. Pour ce faire nous allons prendre la chanson tunisienne la plus emblématique « jari ya hammouda» (mon voisin Hammouda). Il n’y a rien d’arabe dans djari hammouda !

D’abord le nom Hammouda, il n’existe qu’en Afrique du Nord, il est surtout omniprésent en Kabylie sous des formes diverses : Aït-Hammouda (arabisé en Ben-Hammouda, Ould Hammouda), Hammoudi, Hammidi-Hammiti, Hammedane-Hammoutène, etc...Ce nom patronymique est issu d’un toponyme normalement, c’est la règle chez nous. La forme utilisée pour les prénoms et les sobriquets c’est Hemmou pour «qlq’un de chaud» et «qui s’emporte vite», tout ça à cause du mot kabyle hammu « chaud », voir hemmu, sehemmu = réchauffer, chauffer ; de hammu (chaleur) serait issu le mot hemmam (thermes, bains-maures) seulement le mot kabyle et mazigh a été arabisé en partie avec ce «h» intrus qui le dénaturise.

Ensuite le mot jaR, djaR (voisin) en kabyle, mazigh et en argots nord-africains se retrouve il est vrai en arabe al-djar (voisin) mais celà ne signifie pas que c’est un mot arabe à l’origine bien au contraire et c’est facilement démontrable. On retrouve ce même mot avec le même sens en...gaulois !

Germain : du gaulois ger « voisin » et man, maon « homme, peuple »

La différence est que c’est un G et non un « j, dj » qui d’ailleurs en anglais et italien est prononcé [dj], Germania [djermania] ainsi les romains appellaient ce qui est à peu près devenue actuellement l’Allemagne. En principe en kabyle pour nous différencier de l’arabe on pourait utiliser ger au lieu de djaR pour «voisin» surtout qu’en kabyle ger, avec gué spirant, signifie « entre, parmi » donc relatif au voisinage et à la proximité.

GERMAINS
La formule du jour provoqué par un motif tunisien va justement lier un mot kabyle à un mot germain ou plutôt allemand comme on dit de nos jours, voici cette formule :

M ~ RM

C’est à dire qu’un R se cacherait devant un M simplement il a disparu avec le temps. On a déjà vu sur ce blog (voir billet Home) que le R rétabli donnerait axRam, akhRam à la place de axxam, akham (maison, foyer). Prenons un bon exemple pour illuster cette formule et l’intrigante relation entre un mot kabyle et son équivalent allemand.

shamma, shama = cicatrice, balafre, stigmate

Avec le R rétabli devant m : shama ~ shRama

Le kabyle shama, shRama (cicatrice) est exactement le même que l’allemand schrame (pron.en fr. chramé) "cicatrice", mot emprunté par le polonais szram et le russe shram.

Cette formule du R restitué devant le M explique que le nom amputé Gamuh (en fr.Gamouh) que l’on retrouve dans l’Est (Annaba, Constantine) est proche sinon le même que Garmah, Germuh, vu-Germuh (en fr. Guermah, Guermouh, Bouguermouh) que nous avons en Kabylie.

Cette formule M ~ RM peut aussi expliquer le mot kabyle hammu (chaleur) qui sera haremmu, haRmu qui d’un côté est proche à la racine de l’arabe har, harara (chaud, chaleur) donc si le mot hammam avait été un mot arabe ils l’auraienta appellé haramam ou hararama ; et de l’autre côté hammu – haremmu est proche du grec thermos (chaud) surtout si l’on se débarasse de l’intrus arabe «h» pour le remplacer par «th» et puis hemmam serait simplement hermam-thermam soit les thermes.

Il ne faut pas généraliser cette formule, nous devons nous assurer dans quels cas précis elle s’applique. Par exemple gma (frère) serait-il germa...un germain ?!

Par ailleurs la fomule M ~ RM avec le R rétabli devant le M peut inversement être interprétée, c’est à dire avec un M rétabli devant le R soit R ~ RM, au final RM serait un couple inséparable ! Cette formule inverse est vérifiée pour l’exemple suivant :

jeReDH, a-jaRiDH, sh’ReDH = tracer (une ligne), une ligne, un trace, une condition

voir aussi hReth (labourer, silloner), kReDH (gratter), nejeR (tracer un chemin).

shereg (déchirer), jereh (blesser, égratigner, causer une plaie)

shReDH ~ shRameDH, jereH, shereh ~ jrameh, shrameh

On revient à notre shama, shRama (cicatrice) générée par la première formule.

Voilà donc pour cette idée avec la nouvelle formule RM. Nous allons terminer ce billet sur un air de musique un peu spéciale. Quelle soit celte, d’ailleurs ou de chez nous je l’adore. Je parle bien sûr de leghidha t’aylewth la cornemuse qui n’est malheureusement pas estimée à sa juste valeur dans la musique folklorique kabyle moderne. Ci-joint un très beau morceau d’un maestro kabyle très peu connu du grand public : cornemuse kabyle

La cornemuse est appellée mezwed par les tunisiens, voici justement la chanson la plus connue de nos voisins ou cousins germains, jouée à la cornemuse: Hammouda