samedi 4 juillet 2009

Sisyphe au Québec

Ce post est un offtop. Aujourd’hui on va parler du Québec.

Pourquoi tant de kabyles émigrent au Québec? Et si j’étais à leur place surtout que ce n’est pas la motivation qui manque, des raisons aussi j’en ai à gogo! Tintin au Québec je ne connais pas mais Sisyphe au Québec c'est facile à imaginer!

Les montagnes russes
Envisager de quitter son pays, le pays des aïeux, est une chose, envisager de quitter son pays d’adoption, par la même occasion la patrie de son seul descendant, en est une autre. Je n’ai jamais compris l'origine de l'expression française «les montagnes russes» surtout ici dans la ravnina ou le pays plat russe et surtout que les russes utilisent une autre expression «les montagnes américaines» pour désigner le roller coaster comme il est appellé par les américains. Cependant il existe bel et bien des montagnes russes au sens propre (Oural à l’Est, Caucase au Sud) et au sens figuré. La vie en Russie de nos jours c’est exactement comme le roller coaster appellé «les montagnes russes ou américaines» (comme il vous plaîra), un exercise à vous donner le vertige. C’est donc par souci d’équilibre et de la stabilité qui va avec qu’on envisage de descendre de ce machin d’engin surtout que toute personne peut se lasser de pratiquer ce même exercice des années durant et crier: «arrêtez-moi ce machin, je descends!». Quand on n’arrive pas à capitaliser ses efforts ou pire encore on est confronté à une énième vidange (chaque quinquennat ou septennat) on se dit qu’il est temps de mettre un terme à ce genre de pratique de peur de devenir masochiste.

O.K sur glace
S’il est question de changer de pays à mon avis il est nécessaire de choisir un pays ou une province pour lequel ou laquelle on au moins un peu de sympathie, sinon pourquoi y aller? Alors pourquoi envisager le Québec? Pour différentes raisons, sur conseil d’anciens copains installés là-bas et sans doute parce que c’est d’abord une province francophone qui défend courageusement son identité, sa culture et sa langue : ce n’est pas pour me déplaire! Et puis qui n’a pas entendu parler du Québec, cet îlot de la francophonie au milieu d’un océan anglophone «vorace et envahisseur»? Et la fameuse déclaration du non moins fameux Grand Français «Vive le Québec libre»? Cependant je ne sais pas si les québécois contemporains ont la fleur de lys à fleur de peau.
Que connait-on du Québec et du Canada? Eh bien d’abord étymologiquement canada signifierait village dans une des langues des autochtones amérindiens. Ensuite ce sont les grands espaces et le grand froid, pas de quoi me surprendre après la Russie. Cependant je me rends compte que je connais peu de choses du Québec, aucun écrivain, aucune idée sur leur littérature, etc...Ce ne sont pourtant pas les personnalités mondialement connues qui manquent dans ce Canada bilingue et au Québec francophone. Que ce soit une enseigne comme Bombardier, des célébrités comme Dion, Villeneuve, Roy, Lemieux ou simplement des patronymes Tremblay, Beaulieu on comprend tout de suite que «c’est Québec». Vous voyez que je connais mieux le hall of fame, le panthéon du hockey (sur glace) québecois-canadien que la littérature québécoise, tout ça grâce à la vie en Russie qui m’a permis d’apprécier ce sport. Avoir entendu parler de Maurice Richard, Gordie Howe, avoir vu (à la télé!) évoluer en NHL ou contre les russes (que je supportais!) les légendes canadiennes comme Wayne Gretzky, Mario Lemieux ou Patrick Roy est une grande chance, comprendre l’importance de ce sport pour les québécois et les canadiens n’est pas moins important (socialement) que de connaître leurs goûts littéraires, c’est un moyen sûr de se socialiser. A propos, les québécois n’ont plus qu’une équipe en NHL, les légendaires Canadiens de Montréal, après le déménagement des Québec Nordiques au Colorado en 1995 pour se transformer en Avalanche, donc les chances de ramener le trophée «Stanley cup» au Québec sont moindres qu’avant.
Bref, le hockey pour eux est ce qu’est le foot-ball ailleurs dans le monde, donc pour devenir québecois et canadien il est préférable de mettre des patins et tout sera OK sur glace!


Fiche technique, chiffres québecois
Plus d’informations ici sur le portail officiel d’immigration au Québec
Les objectifs du Québec sont:
1) attirer les compétences et les travailleurs qualifiés pour leur marché du travail,
2) assurer une croissance démographique,
3) pérenniser la langue française.
Pour obtenir ce fameux sésame québecois le candidat doit obtenir 59 points sur une grille de 100 pour candidat(e)célibataire ou 68 points sur 100 pour candidat(e) marié(e).
Maximum de points, votre âge 18-35 ans = 18 pts (> 40 ans = 2 pts)
Enfant (moins de 12 ans) = 4 points.
Diplôme uinversitaire : 11 pts.
Doctorat: 13 pts.
Expérience professionnelle: les 5 dernières années seules sont prises en compte.
Taux de réussite: 85%
Frais: 350 $can. ~ 224 € pour vous + 150 $can. ~ 96 pour chaque membre de votre famille (conjoint(e), enfants).
Durée des procédures : 1 an ou plus.
Frais d’installation (autonomie financière 3 premiers mois) : au moins 3000 $can. ~ 1920 € par personne.

Echos québecois
On ne va pas tout commenter mais certaines remarques s’imposent quand même.
D’abord la langue française que le Québec veut pérenniser n’est pas plus LE critère de sélection, c’est plutôt la profession et les compétences de tel ou tel candidat qui importent le plus, c’est LE critère numéro 1. Leur but est de drainer des spécialistes hautement qualifiés (ex.hautes technologies) comme des travailleurs qualifiés (ex.bouchers) que réclame leur marché du travail. Des bouche-trous donc? Non, il ne faut pas être si cruel, ils veulent simplement avoir ceux dont ils ont besoin, point barre. Ils ont raison, remarquez.
Un boucher âgé entre dix-huit et trente cinq ans même s’il ne parle pas, ou pas encore, un traître mot de français a plus de chance d’être sélectionné qu’un cadre commercial moins jeune que ce boucher mais avec un français courant, le jeune boucher court-circuite le moins jeune commercial car simplement le Québec et le Canada doivent regorger d’ingénieurs commerciaux mais accusent un déficit flagrant de bouchers. Business is business.

Par rapport à «perenniser le français» on constate un manque de volonté car franchement quand même un francophone moyen ne connaît presque rien de la culture et de la littérature québécoise il y a lieu de dire que le Québec n’entreprend pas grand chose pour promouvoir son identité en dehors de ses frontières. D’après plusieurs témoignages le critère «langue française» ne pèse pas lourd dans la balance ou plutôt n’a pas la cote haute dans la grille de sélection.

L’argument sécuritaire est aussi évoqué pour «vendre» le Québec et c’est un argument de taille pour les pères de familles désireux de s’établir au Québec. Une simple comparaison suffit pour faire de Montréal une ville sûre, regardez le taux d’homicide par 100 mille habitants :
1.7 Montréal
2.9 Paris
3.8 Vancouver
7.9 New York
9.5 Los Angeles
28.3 Bogota (Colombie)
36.2 Sao Paulo (Brésil)
A titre de comparaison sachez qu’en ex-URSS avec son tout-puissant appareil répressif le taux était environ de 4.5, ensuite après la chute de l’empire soviètique durant les années chaudes 90 en Russie ce taux est passé à 20, voir même 24 selon certains spécialistes, normalement un tel taux est synonyme de guerre civile. Donc comme vous voyez Montréal avec ses 4 millions d’habitants (du total des 7.7 millions de la province de Québec) est bien placée pour revendiquer un label de «ville sûre». Mais dans cet havre de paix oû attérit la majorité (85%) des immigrés un autre péril guette le nouvel arrivant: le chômage. Une ville sûre oû à coup sûr chaque nouveau immigré risque de se retrouver sur la touche pour longtemps. Vancouver l’anglophone à l’ouest du Canada est certes plus dangereuse que Montréal mais elle offre plus d’opportunités professionnelles. Tout est relatif dans ce monde.

Démarrage en côte
Si vous êtes candidat à émigrer au Québec il faut vous poser la bonne question avant de passer à l’acte et surtout définir si votre cas ne se situe pas aux extrêmes:
rien à perdre tout à gagner : dans ce cas foncez !
tout à perdre rien à gagner : restez oû vous êtes !
Chaque soldat voudrait être général mais aucun général ne voudrait redevenir soldat, même un capitaine ne voudrait pas. Donc il faut peser les pour et les contre avant de s’engager.
Si vous avez franchi le pas et avez acquis le sésame pour le Québec il faut se dire que vous êtes le seul à vous prendre en charge dès votre premier pas sur le sol québécois. Dites-vous bien que vous êtes un grand garçon, majeur et vacciné, et que le Québec n’est pas la mère Thérèse ou l’armée du salut pour vous accueillir à bras ouverts.
L’installation au Québec incombe au seul nouvel arrivant, et là c’est à mon avis une faille de ce système d’immigration québécois (canadien en général). C’est en qlq sorte un démarrage en côte que l’on propose au nouveau chauffeur, même un vieux briscard rompu aux difficultés dans des conditions similaires ou presque risque de caler, surtout s’il a l’habitude des boîtes automatiques et là il est confronté à la boîte mécanique, alors que dire des jeunes «chauffeurs novices» ou de ceux qui n’y sont pas préparés du tout? Tiens je vais vous raconter une histoire anecdotique à ce propos. Cette histoire s’est passée en kabylie; un jour A qui vient juste d’avoir son permis de conduire (et franchement, c’est un laborieux conducteur!) roule sur la route qui mène au chef-lieu de sa commune; sur une pente il eut le malheur de rattraper son oncle qui allait à pied sous un soleil de plomb; donc A devait s’arrêter pour le prendre mais comme il était mauvais conducteur...il ne l’a pas fait au risque de se fâcher avec son vénérable oncle; il trouva la parade avec une phrase qui resta légendaire; en effet il ralentit pour être au niveau de son oncle et il baissa la vitre pour s’excuser : « désolé mon oncle, je ne peux pas m’arrêter car je ne sais pas faire le démarrage en côte» !!! NB: le constat est sans équivoques, le Québec est peu clément car il n'est pas votre oncle ou votre tante pour vous pardonner, le démarrage en côte est inévitable!

Post-scriptum
En réalité c’est triste de voir surtout des jeunes, que ce soit en Kabylie ou en Russie, arrâchés de leur patrie respective pour une destination certes prometteuse mais qui leur demande beaucoup de sacrifices. On the other hand c’est réjouissant de voir leur bravoure devant l’incertitude et leur esprit d’aventurier (au bon sens du terme) ou comment ils sont déterminés et prêts à relever le défi qu’est la conquête d’une nouvelle patrie. Leurs efforts seront sans aucun doute récompensés à moyen ou long terme et profiteront surtout à leur descendance et à leur pays d’accueil.
Juste une petite phrase pour terminer. Si le Québec pour les kabyles est en passe de devenir ce qu’est Boston pour les irlandais je dirais que «le jeu vaut la chandelle». A bon entendeur.

Signé: D.S*
* là ce n’est pas Dda Stay. mais D.S comme Dé Sisyphe.