mercredi 20 mai 2009

Phœil

Ce post est consacré à un son intrus oriental dans la langue kabyle et mazigh.

L'œil
Il s'agit en fait de l'œil sémitique, du "ayn" sémitique, arabe le plus souvent. Il sera transcrit ici soit comme â, soit par la lettre 3. Le plus souvent ce "ayn" est en kabyle une voyelle longue en qlq sorte, un double aa, aie/ey, etc...
- â, ayn arabe = gh, ou R [ʁ] grasséyé mazigh
-
â, ayn arabe = ph, v mazigh
Primo le "ayn" sémitique-arabe a le plus souvent altéré une gamma "gh" en langue kabyle, référrez-vous au post récent Hydre pour la racine "lactée-calcium" [GD]-[GS], racine de "puissance" et de l'Os (ou Reliques au sens spirituel et religieux) devenue [âD] en arabe comme dans 3dhim, âdhim (tout-puissant), âdj, 3adj (ivoire, défenses de l'éléphant).
Secundo ce "ayn" a dans un second temps altéré un son F (ph), ou plus largement F et V. En réalité cette mutation d'effectue via la gamma interposée gh - ph (v) - â surtout pour les suffixes. Pour mieux retenir il faut prendre l'anglais laugh (rire) qui se prononce laf. Ou bien en latin olea-oliva (olifa pour d'autres) qui peut nous servir à déchiffrer nos toponymes mazigh d'ADN le plus souvent arabisés qui ont ce suffixe avec un "ayn", comme Kolea, Bouzaréa(h), Chréa-Shréa qui sont respectivement Kolifa (proche de khalfa, khalfun), Bouzarifa (probablement Bou-sherifa, shorafa) et Shruf-shorafa.
Bref, pour faire plus simple voyons des exemples avec le lexique contaminé par le son intrus "ayn" et procédant au remplacement surtout par le "ph" (F) ou sa version plus hard le V.

Poète vs Soldat
Le plus intéressant est de prendre les mots communs au kabyle, shawi (mazigh en général) et à l'arabe car les camarades revendiquent la priorité sur tout lexique interférent, c'est une bonne façon de nous départager.

aaleq en kabyle = pendre, suspendre, accrocher = 3leq, âaleq en arabe
aalay = haut. En arabe âali, 3ali = haut.
phelay: en kabyle (mazigh) nous avons phella, wphella qui indique "haut, d'en haut", rien de pareil en arabe et en sémitiques sauf le cas isolé de la préposition 3la, âla (sur, on/about en anglais) qui en kabyle est 'af, aph ou phell, fel (ex. azul phell awen).
Nous savons combien notre langue est polluée par les sons intrus notamment le "ayn" (3,â) et le "sh" qui altère un "s" (héritage du phénicien conventionnel). Prenons le mot arabe sha3ir, shâir = poète. Si on remplace le "ayn" par un F(ph) et la chuintate "sh" par un "s" on verra ceci:
sha3ir, shâir (poète): s.ph.r
Est-ce que ce mot vous dit qlq chose? Bien sûr asephru = poème en kabyle! Et vous savez très bien qu'en kabyle cette racine [s.ph.r] , [ph.r] n'est pas isolée donc on comprend bien qui a emprunté à qui.
On peut prendre un autre mot commun, shaar (poil, cil) en kabyle et shaâr, she3r (poil, cheveu) en arabe. Pour le kabyle shaar serait shephar, shefar comme leshfar (les cils) et avec la racine shep de shepuv (cheveux), nous différencions les cheveux et les poils au contraire des camarades.

Idem pour le mot arabe 3Tesh, âaTesh (soif) qui serait faTis très proche du kabyle phadh, fadh (soif)
Bien évidemment il faudra continuer ces comparaisons et essayer d'assinir notre lexique assez souvent touché par les faux-amis et sons intrus comme le "ayn". J'ai pris un exemple qui m'a intrigué:
âasas = 1.sentinelle, gardien, surveillant, 2. ange-gardien, gardien de lieux saints
Si on applique nos formules ce mot est soit ghesas, soit avec â=Ph on aura phesas, vesas voir même phezas ou phesac. Cette racine rappelle vescid de veshkiDH (fusil, mousquet) que l'on a récemment rapproché de l'italien moschetto [mosketo] qui a donné mousquet. Le plus drôle est que probablement la racine est la même pour mouche-moustique (mosquito en anglais) sans doute pour la forme de la pointe ou du pique. Ensuite on prend un mot considéré comme un emprunt à l'arabe âaskar (soldat): si je remplace leur "ayn" par le F (ph) j'aurai feskar, phescar qui n'est pas sans rappeller veshkiDH (le mousquet, fusil). Et cette racine "militaire" fesk, phesc ressemble étrangement à puska, pushka (canon) en tchèque et russe respectivement, ce mot pushka selon le dictionnaire étymologique russe de Fasmer (une référence) serait issu du latin familier buxis. Vous voyez comme ce n'est pas simple! Cette racine "militaire" de canon a donné le patronyme du plus grand poète russe Pushkin ou en français Pouchkine, le plus grand nom de la littérature russe, poète qui a trouvé sa mort lors d'un duel aux pistolets avec le français Dantès. Les poètes peuvent soulever des armées comme ils peuvent être à la merci d'un tireur ou d'un soldat. Hélas!