Un des secrets de la toponymie kabyle enfin levé, enfin presque!
Alger la blanche possède des quartiers U.P et des quartiers U.V, non pas ultra-violets mais ultraviolents, il y a des quartiers de certaines communes algéroises qui ont très mauvaise réputation, des Harlem en plein Alger, par exemple à Bab-El-Oued ou à El-Harrach ex.Maison-Carrée (pour têtes carrées?). El-Biar est un quartier huppé, tout comme Hydra . C'est ce toponyme Hydra qui nous intéresse aujourd'hui.
Hydragon
Un rappel pour commencer. D'abord le mot dragon viendrait du grec drako, en latin draco, le mot hydre vient aussi du grec ydhra transcrit en latin Hydra. Ensuite nous savons que notre variante kabyle (mazigh plus généralement) c'est lapha, thallaphsa. Il est évident qu'ils 'agit d'un monstre des eaux et des sources dans les deux cas: hydraulique vient de ce mot grec, En kabyle thalla c'est la source, la fontaine. Nous savons que les grecs désigent la mer par un mot étranger thallassa, sans doute issu d'une variante nord-africaine ayant les mêmes racines que le kabyle contemporain. Et pour finir ce rappel je vous renvoie au post Michelet de décembre 2009 sur ce blog, au sujet du H rétabli devant D, Didouche = hadidouche. Notre première formule du jour est assez simple:
dra ~ hydra
draa ~ hydrag
Le dragon = l'hydre. C'est à dire qu'il y a eu une chute de ce "y, i" ou "Hy" devant le D (voir dh, th), une chute qui concerne notre langue kabyle aussi surtout en matière de toponymie. Prenons un exemple assez parlant: Draa-El-Mizan. C'est un nom à consonnace arabe oui mais de tels toponymes n'existent pas chez les arabes, donc ils ont modifié la forme. Un peu de lexique d'abord.
ighil, y-ghill = bras, coudée en kabyle (mazigh en général)
dhiraâe, dhira3e = bras en sémitique-arabe; le "ayn"(â, 3) arabe a supplanté le "gh, G" et leur bras dhiraâe serait dhirag ou drag (de dragon). La variante latine serait avec un B à la place de D donc bras, bracci (en italien). Le terme de bras est utilisé en géographie pour bras d'une rivière ou fleuve, donc on comprend pourquoi cette relation entre bras et "l'eau, monstre des eaux" (hydre, dragon).Draa-El-Mizan est traduisable de l'arabe littéralement en Bras-de-Balance. En kabyle draa signifie une chose: la force (usage de la force). On suppose donc que Draâe, Draa arabe aurait remplacé le kabyle ighil, yghill donc Draa-el-Mizan aurait été Ighil-l-Mizan un toponyme très proche phonétiquement d'un autre nom de lieu Ghillizan/Relizane situé dans l'Ouest algérien. Il n'est pas exclu que le Draa aurait remplacé non pas Ighil, Yghill mais Thalla (source, fontaine) et il aurait été donc Thalla-l-Mezan un nom quasiment identique à un toponyme Tlemecen dans l'ouest algérien. Et pour finir Draa aurait été Hydra, et en conséquence Draa-El-Mizan aurait été Hydra L'Mizan (L'Mesan?). Au Maroc la région chleuh de Draa (Souss-Massa-Draa) serait Hydra aussi, donc ce nom doit indiquer l'existence d'une source hydrique et avoir une signification toponymique, des coordonnées géographiques en qlq sorte. Et ça seules la langue kabyle (mazigh en général) et la toponymie kabyle peuvent l'expliquer!
Ath Dwalla
Chez les français vous trouverez une région nommée Les bouches du Rhône, bouches pour les embouchures d'un cours d'eau, le fleuve du Rhône en l'occurence. On parle de bras de rivières et de fleuves, chez les français, chez les russes et ailleurs. Eh bien en toponymie kabyle ça va encore plus loin, l'anatomie ou les noms des parties anatomiques sont appliqués par métaphore aux noms de lieux. Nous allons prendre l'exemple de ma commune d'origine en Haute-Kabylie, Ath Dwalla ou Béni-Douala officiellement, 13 km au sud de Tizi-Ouzou. Je ne fais pas de chauvinisme, c'est juste que c'est un exemple parfait pour illustrer la logique hallucinante de la langue kabyle et de la toponymie kabyle. Un peu de lexique d'abord.
Thalla = source (d'eaux), fontaine
Yghill = bras, coudée
Voici maintenant un axiome à retenir:
Thalla-Yghill (faussement transcrits Tala-Ighil) vont ensemble, donc ils se ressemblent! Là oû il y a un toponyme Thalla il doit y avoir un autre à proximité appellé Yghill; et très probablement un troisième appellé Ydhir (je souçonne que le mot Hydre soit caché là); et même très probablement Ymim devenu Mimmoun, Ymim de sa varianté contractée Ymmi/Immi (bouche) équivalent de embouchure de cours d'eau pour son sens géographique.
A propos le nom shami comme celui du vénérable Shamy des Abranis serait non pas shammy (variante contractée) mais vraisemblablement shamym (en fr. Chamim), ce shemim (en fr. Chemime) est d'ailleurs un patronyme kabyle répandu en Basse-Kabylie vers Bougie, Barbacha. Son équivalent en Haute-Kabylie est plus arabisé, Hachem, Hachimi au lieu de (H)Achemim; cette contraction du M est facilement repérable dans les les patronymes comme dans les toponymes qui les génèrent: (bordj) Menayel serait (bordj) Memnayel/Mimounayel.
Lorsque vous partez de Tizi-Ouzou à Béni-Douala vous passez par Thalla B'Ounane, et juste après vous avez Ighil B'ouzerrou, donc la relation Thalla-Yghill qui se suivent est confirmée. Ici agemmun un peu plus loin sur le flanc serait-il une variante de Ymmi, Ymim (bouche)? Ou bien de Ymmi de Thymmi, thimmi (sourcil).
Le nom de cette commune Ath-Dwalla (francoarabisé en Béni-Douala) vient du lieu appellé Thalla Dwalla (tala douala) qui sépare Yghill-Mimmun (ighil mimmoun) et Ath Yidhir (aït-idir). Là nous avons la relation Thalla-Yghill, mieux encore Thalla-Yghill-Yidhir et voir même Ymmi (mimmoun).
La relation en kabyle entre Thalla (source, fontaine) et Yghill, ighil (bras, coudée) est attesté linguistiquement même:
th ~ gh
C'est à dire "th" changé en "gh" permet le passage de thalla (nom féminin) à yghill/ighil (nom masculin). La preuve? Le verbe k'thill = mesurer (les longueurs à l'aide des coudées) est avec cette mutation k'ghill oû l'on voit ghill de yghill, ighil (bras, coudée). Pour finir il est bon de rappeller qu'en kabyle thalla (source) est proche d'une partie de l'anatomie 'all de 'allen (yeux); est-ce que thidT (oeil) serait rapprochable de hydre? Chez les camarades sémites-arabes aussi "ayn" signifie "source" et "oeil". Ce "ayn" en kabyle existe dans thaawit/thaâwint (sorte de fontaine/source de réserve utilisée à des fins techniques ou rarement comme eau potable lors de grandes sécheresses qui touchent thalla "source, fontaine"); en kabyle laayun/laâyun signifie non pas l'oeil mais les sourcils, au pluriel uniquement car le sourcil au singulier c'est thimmi (nom fém.sing.). On voit en français aussi source-sourcil, il y a une relation facile à deviner rien qu'à voir un boxeur avec une arcade sourcilière ouverte et qui saigne abondamment. L'oeil pour les systèmes de mesures était utilisé par les anciens égyptiens (oeil d'Horus), les mesures ça existe aussi pour les distances ("lieu" par exemple!), en toponymie et en géographie donc nos toponymes avec un nom "anatomique" seraient porteurs d'un autre sens, chiffrable celui-là. Logique intéressante, à suivre donc.
Voilà que le système de toponymie kabyle et mazigh commence à nous dévoiler ses secrets. J'espère que je ne tarderai pas à percer ce mystère pour enfin expliquer nos mots, nos noms, notre patrie, notre monde à nous.