samedi 13 juillet 2013

Philadelphia

Philippe et Philadelphie en Kabylie...

Ce billet complète le post récent Baal, Adherbal et apporte une version contradictoire aux origines du préfixe Bou- dans les toponymes et patronymes kabyles, "berbères" et nord-africains plus généralement. 
Boufarik, Bousmail, etc...pour les toponymes;
Boubaghla, Boumaaza, etc...pour les patronymes et sobriquets.

Philo
L'idée centrale consiste à dire que ce préfixe Vu- ou Bou- serait :
- une contraction de Hebou - qui en kabyle signifie "(un être) cher", en arabe habib (ami);
- Bou (hebou) serait notre équivalent du grec Philo- de Philein "aimer".
Ce Philo grec est, notez bien, dans les noms et dans les toponymes, comme préfixe ou comme suffixe. Ce Philo grec a été repris par les Slaves, Philo devint Hvila chez les Ukrainiens pour l'exemple.

Boubaghla
Il y a une illustre personnage dans l'histoire kabyle, Chérif Boubaghla dont le crâne est exposé comme un vulgaire trophée par les franchouillards au musée MNHN. On pense que Boubaghla serait banalement Bou- (propriétaire de) en kabyle + Baghla (mule, mulet) en arabe, c'est à dire que dans un mélange kabylo-arabe Boubaghla signifie "le muletier", ce qui est tout à fait envisageable s'il s'agit de sobriquet. Cependant cette interprétation montre combien nous nous sommes écartés de notre culture méditerranéenne au profit de la "culture" aride des chameliers. 

D'abord, le patronyme ou sobriquet Bou-Baghla a son équivalent en toponymie : Baghlia. Donc ça s'inscrit dans les règles de notre culture : le nom ou sobriquet est donné selon l'origine géographique, soit le toponyme. Boubaghla serait originaire de Baghlia probablement et non pas d'une région lointaine au pays des Maures comme le dit la légende.

Ensuite, ce nom ou sobriquet Bou-Baghla qu'on ne trouve étrangement que chez les Kabyles et jamais chez les arabes ou maures arabisés aurait son équivalent (enfin presque) de l'autre côté de la Méditerranée. Faisons le rapprochement via Bou (hebou) kabyle = Philo grec :
Bou-Baghla = Hebou-Baghla = Philo-"baghla"(mule en arabe)
Chez les Grecs ce n'est pas de mulet qu'il s'agit mais de cheval : Hippo
Philo + Hippo = aime (ami du) + cheval = Philippos ou Philippe
Bref, Boubaghla kabyle = Philippe grec.
Philippe II de Macédoine dit "le borgne"
Et maintenant attention !
Boubaghla "Philippe" n'est pas un surnom car son sobriquet était "le borgne". L'histoire connaît un autre Philippe qui était borgne : le père d'Alexandre le Grand.
Vous croyez que c'est une simple coïncidence ? Ma foi, c'est votre droit mais à mon avis "borgne" (en argot arabe DZ "laouar") serait probablement une altération de "waar/awaaran" kabyle (loua3er en argot DZ) en argot DZ pour "le dur" ou plus exactement "le terrible". Ce waar, waaran peut être, bien entendu, en relation avec ahar (lion) donc qlq'un de brave et féroce, qui sait, mais le plus étonnant est que Waar corrompu en arabe Laouer ("borgne") peut signifier tout simplement Guerrier, warrior en anglais : oui, c'est surprenant et pourtant !  Boubaghla est non pas "le borgne" mais "le terrible", "le féroce" ou "le guerrier", "le bélliqueux", tout comme Philippe II de Macédoine ! Il y a un autre Philippe qui nous intéresse : Philippe Le Bel, mais celui-là on va lui dédier un billet à part, le prochain ! L'histoire connaît d'autres rois guerriers de ce type : Ivane Grozny ou Ivan "le terrible". Ces sobriquets "le borgne", "le terrible" sont peut-être des noms d'emprunt, des noms de guerre, qui sait surtout que cette tradition est assez répandue, même les tangos en Algérie prennent des noms de guerre "Abou machin".   
 
Voilà comment un nom ou sobriquet risible, disons-le honnêtement, devient respectable à la lumière de ce rapprochement avec notre milieu méditerranéen naturel ! En appliquant cette formule on peut déchiffrer Boumaaza (philo+ aigis"chèvre" en grec), Boudinar (philo + deniers ou Drachmophiles en grec :), etc...
source
Philadelphia
Il y a des prénoms et noms patronymiques très particuliers à la Kabylie, parfois on les retrouve chez les autres "Berbères" voir même chez les Maures arabisés mais en tout état de cause les noms commençant par Bou- sont propres aux nord-africains, jamais on ne les retrouve en Egypte et à fortiori chez les vrais arabes du Levant.

Ce Bou- (Bel- des fois) masculin a son équivalent féminin avec M,Mi ou Mel : Mimezran, Melkhir. Tiens Melkhir prénom qu'on trouve chez les Kabyle comme chez les Maures : Mel+khir (le bien, la vertu) serait Philo+ aretos (vertu) en grec. Donc Melkhir (femme) ou Belkhir (homme) = Philaretos, Philarète.

Boubekeur, Boubker ou Boubkeur existant chez les Kabyles et chez les Maures arabisés est souvent interprété à travers le prisme arabo-islamiste : Boubkeur serait Abou Bakr lié à leur religion. Mais qui nous dit que c'est vrai ? Vuvker ou Boubkeur, si l'on suit notre logique Bou = Philo, serait Bou + Vker (voir Fker) où ifker "tortue" (devenu fakroun chez les maures arabisés). Boubker interpréta vu-ifker ou un tortuephile sans doute pour soit qlq'un de très calme, pesé et raisonnable, soit pour un lève-tôt (comme la tortue), un lève-bekri (tôt en arabe). Mais le plus important est que ce nom Boubkeur de tortue (ifker, ivker) possède un équivalent en toponymie : ifker devenu Fakroun dans Ain Fakroun dans le pays de nos frères Chaouis.

Prenons maintenant Vujema, Boujema, Boudjema ou Boudjemaa (le rassembleur) comme le sobriquet et nom de nos excellents artistes kabyles (1, 2). Ce prénom existe aussi chez les Maures arabisés. D'abord ce nom a son équivalent en toponymie : Boudjima. Ensuite sa transcription ainsi que sa transcription serait corrompues (pour lui donner une consonance arabe), Vugema serait plus juste :
vu, Bou-(hebou): Philo grec + gema : frère ou adelphos en grec
vugema ou Boudjemaa = Philadelpha
Eh le modeste toponyme kabyle Boudjima devient en grec...Philadelphia !

P.S
Maintenant qu'on a établi un pont avec le grec (Bou-, Bel- = Philo), imaginez comment auraient été attribués les noms et prénoms durant la cohabitation "bérbéro"-grecque en Cyrénaïque antique ou plus tard durant l'occupation de nos territoires nord-africains par les Grecs Byzantins ! Il est évident que l'histoire n'aura retenu que des noms à consonance grecque (de nos jours c'est l'arabe qui nous éclipse), même si le personnage, appelé par ex.Philippe était un autochtone Boubaghla il restera dans les annales sous un nom traduit (baptisé) et de facto devient un étranger : un Grec, un Latin, (et de nos jours) un Arabe. C'est ainsi, frères et soeurs Kabyles et "Berbères", qu'on se serait fait évincer de l'histoire pour devenir au regard du monde moderne simplement inexistants. Tout ça à cause du plus vieux métier du monde, un autre pas celui que vous pensez, celui de traducteur. On est des vrais lost in history because of translation si je puis dire :)